Un mot sur Marie-Claire ALAIN

 

                                   Un mot sur Marie-Claire ALAIN

 

Depuis le décès de Marie-Claire ALAIN, les hommages et témoignages ont été nombreux… même si l’on peut regretter qu’on ne parle pas plus que cela de cette grande organiste dans les médias généralistes.

 

L’essentiel est dit, et je préfère apporter un témoignage personnel.

 

J’ai étudié avec Marie-Claire Alain pendant une année, c’est-à-dire peu. C’était vers 1992 ou 93… je ne sais plus ; donc après le prix du Conservatoire de Paris (1989).

 

Son cours à peine terminé, dans le métro puis le train, je notais tout ce que je pouvais sur des petits carnets, tant que la mémoire était fraîche. Car elle était un professeur précis, appuyant toujours ses propositions / directives par des arguments musicologiques, ou d’analyse au plus près du texte.

De plus, pour ce qui est de l’interprétation de l’œuvre de Bach, elle connaissait parfaitement les orgues historiques qu’avait connus Bach. Ainsi, disait-elle par exemple, sur la question du talon chez Bach, quand on essaie sur ces instruments (banc haut, touches dures… ce que j’ai depuis constaté moi-même… à Mirepoix, un orgue très allemand) : « le talon est facile à jouer dans le grave et l’aigu du pédalier, beaucoup plus dur au centre ».

 

Mais je voulais parler de l’organiste « au disque » !

J’ai eu la chance d’assister à son enregistrement de l’intégrale César Franck, faite à Caen pour Erato en 1995.

A cette époque, j’étais donc :

1. de ses anciens élèves

2. membre de l’équipe des organistes de l’Abbatiale St-Etienne de Caen (titulaire Alain Bouvet).

 

Elle m’avait demandé si je pouvais être « en cabine régie », partitions à la main.

Les prises de son se passaient les 8, 10, 11 et 12 juin 1995. Il y avait à la console-son Martine Guers-Fernoux. Vincent Warnier tournait les pages et faisait l’assistant de registres à la tribune. Le facteur d’orgues Jean-Marc Cicchero était là par sécurité.

C’était la nuit, bien entendu, à cause des bruits de la ville, trop importants la journée.

 

Un soir, elle a « fait » les Trois Chorals.

Un autre, les Trois Pièces et la Pièce Symphonique.

Je parle des deux soirées où je fus présent.

 

Elle jouait d’une traite la pièce, comme au concert. Martine Guers et moi étions censés lui dire : « attention, mesure x, une note a légèrement été accrochée » etc. En fait, d’elle-même, ayant à peine fini de jouer, elle disait : « vers la mesure 25, c’est à refaire ; je reprends à 12, pour être avant le silence (sur lequel il est difficile de « monter », je précise), et je vais jusqu’à 35 ». Je vais jouer 3 fois cela.

Et elle s’exécutait. Nous écrivions :

« - Prise 1 : mesures 12 à 35

 Prise 2 : mesures 12 à 35

 Prise 3 : mesures 12 à 35 ».

 

Elle disait alors : « C’est bon. On a ce qu’il faut en boîte. Maintenant, on fait autour de la 103 » etc.

Soit donc, au total, trois ou quatre endroits sur une œuvre de 12 à 20 minutes au total. Pour chacun de ces endroits, trois prises.

 

De toute la séance d’enregistrement, elle ne descendait pas de l’orgue pour aller écouter les prises et vérifier. « Il ne faut pas se refroidir », disait-elle.

 

Une soirée, 20h30 - 1h du matin, permettait donc d’enregistrer un nombre de pièces impressionnant.

 

Le lendemain, dans la journée, séance d’écoute :

« Pour le Premier Choral, mesures 12 - 35, je crois que la prise 2 est la mieux. Faîtes-la moi entendre. La 3 maintenant, on ne sait jamais. C’est bien la 2 la meilleure. On garde la 2 ».

Et on passait à l’écoute d’une autre pièce.

Ce qui fait qu’en 5 à 7 minutes d’écoute, la pièce était virtuellement « montée ». Il restait à Martine Guers, dans les jours qui suivent, à exécuter techniquement le travail de retour à Paris.

 

Ces soirs-là, je me suis trouvé assez inutile. Mais j’ai appris beaucoup.

Le disque doit rester naturel, comme au concert. La notion de montage, aussi, doit être musicale. Il ne s’agit évidemment pas de bricolage « à la note ». On perdrait le souffle de l’avancée musicale.

 

Dans ces moments-là, j’ai vu l’immense maîtrise du micro et de l’enregistrement dont pouvait faire preuve Marie-Claire Alain.

 

Je m’étais dit : « je raconterai cela un jour ».

C’est chose faite.

 

……………………..

 

(Ecrit le 9 mars 2013. Sous les yeux, j’ai deux photos prises en cabine régie, dans le triforium de St-Etienne de Caen, à la fin de l’enregistrement. Tous, nous avons une coupe de champagne à la main. Nous sommes donc cinq… Six en fait, car il y a aussi l’apprenti du facteur d’orgues. J’ai soigneusement annoté ces photos, concernant noms et dates). 

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