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Interviews musicologiques

Ce que pensent Nicolas Gorenstein et André Isoir du phrasé contre-sujet de la passacaille de Bach (Clavierübung III), ou quelques échanges de mails fort instructifs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Successivement, André Isoir (en 2007) et Nicolas Gorenstein (en 2009) répondent à mes
questions :

 


- Le phrasé du contre-sujet de la fugue de la Passacaille de Bach (mib si si do do, temps forts en gras) est-il authentique (liaison de la brève à la longue, autrement dit : de la levée vers le temps, laquelle n’est mentionnée que par certaines éditions, aux premières mesures seulement, parfois entre crochets) ?

A noter : la source : Griepenkerl, qui travaille pour les éditions Peters dans les années 1840. A titre de repère, N. Gorenstein me rappellera au cours de nos entretiens que Griepenkerl est plus jeune que Forkel.

- Le Prélude en mi b (Clavierübung, 3ème partie, ou la Messe luthérienne) : liaisons longue - brève, contrairement à ce qui se pratique dans l’Ouverture à la française.

……………….

 

Je voudrais, avant de poursuivre, remercier chaleureusement ces deux éminents spécialistes d’avoir répondu, avec disponibilité, simplicité et précision, à ces questions que je me pose depuis si longtemps. Ces réponses, par mail, n’étaient destinées qu’à moi ; pas à une quelconque publication. Mes deux interlocuteurs m’ont autorisé à diffuser nos échanges dans le cadre du présent site. Encore une fois, qu’ils en soient remerciés.

Jean-Pierre BASTON : Question concernant LA FUGUE DE LA PASSACAILLE

André ISOIR, 16/12/2007 :

Les articulations dans la fugue de la passacaille : le cas est épineux. Nous disposons de onze copies de la passacaille toutes vierges d'articulation sur le contresujet. L'original, perdu ou volé a été copié naguère par Gripenkerl. C'est la seule version où l'on trouve cette articulation. Notez qu'à la mesure 25, c'est un la bécarre que l'on doit jouer à la voix d'alto. 

JPB : dans : L’Interprétation de Bach dans la « grande Ecole d’orgue française » 1900-1960, Paris, juin 2008, 150 pages, ed. Chanvrelin, aux pages 10, 30 et 143, Nicolas Gorenstein parle du phrasé du contre-sujet. Il écrit (p.10) : « Dupré indique par des détachés son articulation du contre-sujet dans la Passacaille ; ce faisant, il a supprimé la liaison originale de Bach ». Etant donné que, comme dit André Isoir, l’original a été perdu, comment Nicolas Gorenstein peut-il parler de la « liaison originale de Bach » ? Ou comment « deviner » un original que l’on n’a plus ?

Nicolas GORENSTEIN, 23/12/2009 (qui collabore aux ed. Chanvrelin) :

Vous posez une excellente question. Comme dit André Isoir, elle est épineuse; dans le livre (cité ci-dessus, note de JPB), je suis passé par-dessus en allant directement à la conclusion parce que ce n'était pas mon propos. Mon point de vue est le suivant: toute la question revient à celle-ci : qui a copié quoi.

1) En réalité, personne, pas même Griepenkerl, n'a eu en mains l'autographe (à mon sens, contrairement à ce que semble dire André Isoir). Griepenkerl a indiqué qu'il possédait deux sources, qu'il pensait avoir été écrites à des époques différentes, et en a vu deux autres appartenant à des collègues (qu'il cite : il s’agit de Herr Guhr, et de Herr Hauser, de Vienne). Il a déclaré avoir basé son édition sur ces deux dernières versions, qu'il considérait comme essentielles parce que (selon lui) basées directement sur l'autographe (inconnu à ce jour).

2) Effectivement, dans les onze copies connues de nos jours, il n'y a pas de liaison. Mais nous ne savons rien de précis sur les sources de ces copies; elles peuvent elles-mêmes reproduire des versions plus ou moins fidèles, dont nous ne savons même pas le nombre; elles pourraient fort bien, pourquoi pas, toutes remonter à une version unique (perdue). Si cette version unique n'avait pas de liaison, il serait normal que les versions filles n'en aient pas non plus. Qu'il y ait une, onze ou trente copies ne prouve rien si on n'en connaît pas l'histoire.

3) Même Forkel, en 1802, n'a pas toujours eu en main l'autographe de toutes les pièces de Bach qu'il connaissait et qu'il cite (exemple: Toccata en ré mineur BWV 538). Certains sont encore introuvables. Dans d'autres cas il n'a eu qu'une version intermédiaire (exemple: Prélude et fugue en ut BWV 545). Alors, quarante ans plus tard... En somme, nous ne pouvons avoir aucune certitude. Il faut donc nous baser sur d'autres éléments pour nous faire une opinion, et là, une part d'arbitraire intervient, selon le poids que l'on attribue à tel ou tel argument. Mon raisonnement est celui-ci :

- la liaison est notée pendant la première entrée, et plus ensuite, ce qui est conforme à l'habitude de Bach et non d'un copiste qui voudrait mettre son grain de sel ;

- si Griepenkerl s'était permis d'inventer ces liaisons, il courait le risque de se voir publiquement critiquer par les collègues qu'il cite (donc Herr Guhr, et Herr Hauser), un petit jeu qu'on aimait assez dans un pays où les réputations faisaient les carrières plutôt que l'inverse ;

- si Griepenkerl les avait inventées, il aurait bien pu faire de même dans des tas d'autres endroits du même genre, par exemple la levée de la fugue en mi mineur BWV 548, ou celle de la fugue en ut mineur BWV 537, ou la levée des petites formules dans la fugue en sol mineur BWV 578 (mes. 37 et sq.), ou la troisième croche du sujet de la fugue en la mineur BWV 543 (mes. 2) que Widor lie "par tradition" (déjà!), etc etc.

- en tant que telle, cette liaison "à rebrousse-poil" a des équivalents ailleurs, comme indiqué dans le livre ; elle n'est pas incompatible avec le "style de Bach", bien au contraire : Bach aimait bien, _de temps en temps_, procéder ainsi. Selon moi Griepenkerl a noté cette liaison tout simplement parce qu'il l'a vue, elle se trouvait bien dans sa ou ses sources, et je ne vois donc aucune raison de ne pas lui faire confiance à ce propos.

La seule question qui demeure est : que valaient les sources de Griepenkerl par rapport aux onze autres _copies_ dont nous disposons par ailleurs? En d'autres termes: qui a copié quoi. Evidemment nous n'en savons rien. Néanmoins, j'ai du mal à imaginer un copiste rajoutant de sa propre autorité une liaison à un endroit aussi particulier, en la notant quatre fois consécutives, et rien d'autre nulle part du début à la fin de la pièce; par contre, j'imagine assez bien la possibilité de Bach réalisant une copie de son autographe (un deuxième autographe) à l'usage d'un élève, d'un ami, etc et rajoutant sur sa copie pour l'ami une indication qu'il n'avait pas notée dans sa première version à son propre usage; lui, auteur, savait ce qu'il faisait et notait le minimum dans ses manuscrits privés. C'est un problème assez comparable à celui de certaines registrations de Bach et dont j'ai discuté dans un petit article qui va paraître dans le prochain numéro de la revue suisse "La Tribune de l'Orgue" (Note de JPB : NG m’écrit en 2009. Depuis, l’article est paru dans la revue suisse "La Tribune de l'Orgue", republié -revu et corrigé- chez Chanvrelin).

Ma conclusion est donc, certes par preuves indirectes, que ces liaisons sont très probablement authentiques. Mais, encore une fois, je reconnais volontiers le parti-pris que cela représente, puisque je fais confiance à Griepenkerl (pour des raisons qui me semblent valables à moi) et que je préfère ses sources à celles des onze (?) copies connues. Notez que l'autre question soulevée par André Isoir, l'histoire du la bécarre, mérite d'être considérée de près. Je n'ai pas d'opinion là-dessus, mais je constate que le la bémol est la solution « bachesque » harmoniquement normale et logique pour la modulation, tandis que le la naturel, sorte de mineur mélodique ascendant auquel Bach tordrait le cou, n'est pas utile et doit passer un peu en force. D'accord, Bach a fait d'autres tours de passe-passe, mais ils sont harmoniquement solides, voire malins; tandis que celui-ci, eh bien, jusqu'à preuve irréfutable, je demande à voir. Cela dit, je pose une question: est-ce que le la est noté expressément bécarre dans le texte, ou bien s'agit-il d'une copie de la pièce avec une armure ancien genre à deux bémols, dans laquelle le la n'a pas de bémol spécifiquement noté, ce qui le "laisserait" naturel? La situation serait radicalement différente.

Jean-Pierre BASTON : Question concernant LE PRÉLUDE EN MI B DE LA CLAVIERÜBUNG (Messe Luthérienne) :
Autre point ; les liaisons longue - brève… d'origine, du grand mi b: évidemment contraires à la tradition de l'Ouverture française du brève - longue, ce que Bach n'ignorait pas.

André Isoir, 16/12/2007: Les articulations dans le grand mi bémol : je pense que Bach demande ici une syllabe muette sur les brèves, seules, les longues sont prononcées.  

Nicolas Gorenstein, 13/01/2010: Ah ah, vaste question. D'abord, Bach commence par lier par 2, puis plus loin il passe à des liaisons par 4, alors que le texte est comparable. Ensuite, on trouve d'autres liaisons dans ses pièces d'orgue sur lesquelles on peut s'interroger : dans le Choral Ich ruf' zu dir de l'Orgelbüchlein, dans le mouvement lent de la 2e Sonate en trio, dans le Prélude en mib mes. 34 etc, dans la Passacaille elle-même (mes. 104 et sq.), etc. Contrairement à celles à rebrousse-poil, ou à celles des Duetti 2 et 4, celle-ci ne semblent pas apporter grand chose, puisqu'on voit mal l'organiste ajouter exprès des effets de coups d'archet qui, aux cordes, ne sont dans ces cas-là qu'utilitaires.  

Sans avoir de réponse définitive, on peut cependant remarquer que le choral cité est plus tardif que les autres (rajouté par Bach ultérieurement dans le manuscrit où il avait laissé des pages vides), que les Sonates en trio ont été écrites probablement après 1723 (incontestable pour la 4e, donc probable pour les autres). A cette époque les conventions d'écriture ne sont plus celles du baroque pur et dur. Bientôt une liaison ne signifiera plus forcément "lié" stricto sensu, mais indiquera simplement un groupement (cf liaisons au piano-forte, puis au piano). D'ailleurs il existe une tradition chez les violonistes de la fin du XVIIIe (je crois que Léopold Mozart en parle, et c'est décrit par Walter Piston et Kent Kennan) qui veut que quand on voit des passages écrits en croches pointées / doubles avec une liaison au-dessus du groupe et un point de staccato sur la *deuxième* note (la double), on détache la croche (qui n'est pourtant pas indiquée détachée) et on continue le coup d'archet jusqu'à la double, en changeant de sens pour la croche suivante (donc en détachant la double par le coup d'archet, pas par un staccato surajouté). En somme, la liaison désigne un coup d'archet qui produit pourtant un détaché, et le point de staccato est au mauvais endroit : il devrait être sur la première note, pas sur la seconde...

Dans le Prélude en mib, il me semble que lier systématiquement la longue à la brève et créer une articulation entre la brève et la longue (comme la liaison notée) est lourd, épais, et en fait pas satisfaisant. Mais l'inverse, lier la brève à la longue et faire une articulation avant la brève, ne me plait pas non plus, c'est boiteux, trébuchant et rapidement agaçant. Les traités, comme toujours, ne sont pas assez clairs sur la question, quoi qu'en pensent les experts. A chacun de se faire une opinion et de choisir une solution. J'ai la mienne, mais nous pourrons en discuter une autre fois...

JPB : Le plenum germanique = la synthèse des principaux jusqu'aux mixtures; les anches, assez douces, peuvent s'y ajouter. Rien à voir donc avec le côté "claironnant" du Grand Jeu français. Et le Plein-jeu renvoie quelque part à une notion de "très lié". Longue - brève est donc bien meilleur. Voilà mon explication. La trouvez-vous pertinente? Y en a-t-il une autre, qui dépasse la seule question "orgue"?

N. Gorenstein : Je suis d'accord avec vous sur le rapport intuitif entre le "lié" et le Plein-jeu... français. Moins avec le Plein-jeu allemand (Silbermann mis à part). A mon sens c'est une option possible en Allemagne, mais ce n'est pas la seule. Cf. le plein-vent (inconnu à l'époque classique en France). Cf. l'écriture de Buxtehude (dernière section du grand mi mineur, fugue en ut majeur, fin de la Chacone en mi, et plein d'autres). Cf. aussi Bach qui transcrit les concertos pour cordes de Vivaldi (martellements, accords répétés, formules rythmiques "dansantes"...) par le Plein-jeu. La question du Plein-jeu dans Bach soulève des problèmes qui semblent être restés de coté. Si la question vous intéresse, il y a un article de moi ("Bach et les 16 pieds") qui est actuellement publié dans la Tribune de l'Orgue (magazine suisse). Ils ont découpé le texte, le début est paru dans le dernier numéro (décembre 09), la suite va paraître dans le ou les suivants. (NOTE DE JPB : cet article est maintenant intégralement publié sous forme d’un ouvrage, aux éditions Chanvrelin : Bach et les 16 pieds).

 

QUESTIONS DIVERSES


Jean-Pierre Baston : Bach n'a jamais été édité… de son vivant ?

Nicolas Gorenstein : Pas tout à fait : les quatre volumes de la Clavierübung, les Schubler et les Variations Canoniques l'ont bien été.

GRIGNY ET LES 10ÈMES.

JPB : Enfin, Grigny (vous l'avez édité, je crois?)

N. Gorenstein : Oui, aux Editions du Triton (distribué par les éd. de la Schola Cantorum en Suisse) en comparant l'original avec la copie de Bach et celle de Walther. Souvent fort instructif.

JPB : Certaines 10èmes de main gauche, notamment dans le Gloria de la Messe, m'étonnent beaucoup.

N. Gorenstein : Il y en a quelques unes dans le Plein-jeu : souvent les 10es majeures peuvent se prendre par la main droite (sauf mes. 19), tandis que la m.g. fait les petites. Il y en a aussi dans le Dialogue final, qui peuvent être prises par la Pédale (Grigny avait une tirasse et il y tenait beaucoup, comme on sait.) N'oubliez pas que les claviers étaient un peu plus étroits à l'époque, le système métrique n'était pas encore passé par là. Personnellement j'ai de grandes paluches qui prennent les 10es; Grigny en avait peut-être aussi? Et des pieds pas ordinaires non plus, si on en juge par ce qu'il arrivait à faire sur les pédaliers à la française... à moins que, comme Raison, il n'utilisait une "main amie" sans le dire ?

 

Les titres ajoutés en lettres majuscules le sont par JPB pour une meilleure compréhension.


Discussion avec Nicolas Gorenstein à propos de Souberbielle

 EDOUARD SOUBERBIELLE

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Echanges de mail, datant de novembre et décembre 2010, de JP. Baston avec Nicolas Gorenstein, au sujet d’Edouard Souberbielle.

Mes questions font suite à la publication, par Nicolas Gorenstein aux éditions Chanvrelin (  http://chanvrelin.free.fr  ), de l’étude consacrée à Edouard Souberbielle ; cette même étude est également dans l’ouvrage d’Alexis Galpérine aux éditions Delatour, mais avec des erreurs de mise en page. 

Bref rappel pour le lecteur : Edouard Souberbielle, comme professeur très recherché, a joué un rôle essentiel, notamment en terme de réflexion musicologique et d’interprétation.

Il a été le professeur d’André Isoir ou de Michel Chapuis, lesquels ont achevé leur formation chez Rolande Falcinelli (pour André Isoir) ou Marcel Dupré (pour Michel Chapuis) au Conservatoire de Paris.

Ecoutez la piste 1 (Buxtehude, BuxWV 142, ou la piste 2 (Bach BWV 547, Prélude en Ut majeur)   - prises « live » de concert-   du CD joint à l’ouvrage d’Alexis Galperine (Delatour) pour vous convaincre de la pertinence du jeu de Souberbielle en 1974 (on dirait du pur Chapuis !). A comparer au legato absolu du Conservatoire de Paris…

 

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JPB : Une question encore sur E. Souberbielle: savez-vous en quelle année il a effectivement arrêté son enseignement à l’IML (Institut de Musique Liturgique, dépendant de l’Institut Catholique de Paris ; enseignement dispensé à l’église St-Joseph des Carmes)? Je pense que c'est entre 1979 et 1981, par déduction. Mais j'aimerais en être sûr.

NG : Souberbielle est resté titulaire de l'orgue des Carmes jusqu'à sa mort, mais je ne sais pas s'il avait encore en charge les cours de l’IML, bien que les deux postes étaient liés.  Pour le savoir il faut interroger l’IML.

JPB : Sur Google, j'ai trouvé facilement les compositions de l’orgue des Carmes, et de celui de l'école César Franck. Dans cette école, c'est bien le Haerpfer de 6 jeux décrit sur Google qu'a toujours utilisé Souberbielle pour ses cours? Y a-t-il eu un autre orgue avant dans cette même école ?

NG : Souberbielle a d'abord enseigné à la Schola, où il utilisait le Cavaillé installé par Guilmant (avant son électrification par Beuchet).  On peut remarquer la composition typique de la philosophie du grand Alexandre, avec Flûte douce 4 - Nazard - 3ce au Positif et Plein-jeu au Récit.  Lorsque l'école César Franck (née de la scission avec la Schola en 1935) s'installa rue Gît-le-Coeur en 1968, le directeur de l'époque Olivier Alain décida d'acquérir un instrument neuf et le commanda à Haerpfer (Marie-Claire Alain appréciait particulièrement ce facteur...), et c'était effectivement celui de six jeux que vous évoquez, et dont seuls les deux 8 étaient utilisables tellement le reste faisait de bruit (cf. mon texte dans le livre d’Alexis Galpérine).  Mais entre ces deux dates, pendant que l'école était boulevard Edgar-Quinet (près de Montparnasse) puis rue Jules Chaplain, je ne sais pas de quel orgue l'école disposait.  Je soupçonne qu'il n'y en avait pas sur place (sinon il aurait été réutilisé, au moins en partie, pour le nouveau) et que les cours se passaient dans une église voisine, et je pense à l'orgue du collège Saint-Nicolas.  De mémoire, je me souviens que Michel Chapuis fait allusion quelque part (dans son livre de souvenirs?) aux cours qui avaient lieu dans une école de chaudronnerie, et qu'il situe à une mauvaise adresse (peut-être bien le 15e arrondissement).  L'école de chaudronnerie en question ne peut être que le collège Saint-Nicolas qui était au 92 rue de Vaugirard, à l'angle de la rue St-Placide et que j'ai connu (cf. mon texte).  Je ne sais pas ce que cet orgue est devenu, les locaux ayant été largement réaménagés dans les années 80 et la chapelle démolie.  Il faudrait les interroger, ou demander à Jean-Louis Coignet (ancien expert de la Ville de Paris).  De mémoire encore, l'orgue était un Merklin ou autre (pas Cavaillé) avec 16 8 16 8 à la Pédale, 16 8 8 8 4 Plein-jeu (probablement harmonique) Bombarde,  Trompette, Clairon (tonitruants) au GO, 8 8 Céleste, Fl4, Oct2, Basson / Hautbos Trompette, Voix humaine au Récit, deux tirasses, accouplement, tonnerre, appels d'Anches GO, Récit, Péd, Général (sur moteur pneumatique, faisait s'abaisser et remonter automatiquement les trois autres, c'était rigolo), expression, trémolo, et une sonnette toujours en place alors pour prévenir le souffleur.

Il faudrait poser la question à ceux qui étaient à l'école à ce moment (Michel Chapuis et André  Isoir, parmi tant d'autres).

JPB : Pour Haerpfer… on voit que ça a toujours été très moyen.

NG : J'en ai joué un qui m'a plu, à la cathédrale de Rennes.  Il y a plus de vingt ans de cela.  Peut-être que je changerais d'avis en le réentendant maintenant (il a vieilli, et moi aussi).  De Saint-Germain des Prés, Georges Guillard me disait : "il est bien parce qu'André Isoir a été derrière chaque tuyau".  Il avait peut-être bien raison. (Je n'aime pas le plan avec toutes les Anches du GO sur le troisième clavier, qui oblige à avoir systématiquement un accouplement supplémentaire et réduit l'ensemble à trois plans au lieu de quatre.  André Isoir voulait avoir un Plein-jeu avec super-Anches à la Pédale en taille.  Sur ce point, pas de problème, il l'a eu...).

(Note de JPB : Jean Legoupil lui aussi a toujours été derrière chaque tuyau du Haerpfer de la cathédrale du Havre dont il est titulaire… instrument considéré par beaucoup comme, peut-être, le plus beau Haerpfer ! Là aussi, probablement, ceci explique cela !)

JPB : A la scission de la Schola, les étudiants y ont certainement perdu en terme d'instrument !

NG : Aucun doute là-dessus.  La  « revanche » de l'école César Franck, c'est que l'électrification et une "légère" (sic) réharmonisation de Beuchet fut une opération aux résultats discutables.  Enfin, face au Jacquot-Lavergne du Conservatoire...

JPB : Pendant pas mal d'années, j'ai joué St-Nicolas du Chardonnet… que je n'aimais pas. Mais le CD m'a surpris: pas mal !

NG : La différence entre un enregistrement et l'original peut être considérable.  Le plus bel exemple que je connaisse est celui de Sarre-Union, tristounet et ennuyeux sur place, épatant dans le disque de Noëls de Michel Chapuis.  Edouard Souberbielle a donné deux concerts à St-Nicolas, qui ont été enregistrés par la Radio.  Le CD du livre n'en donne qu'un extrait des deux.

JPB : Je ne sais pas ce qu'il en est depuis la récente restauration (et la nouvelle console en fenêtre). 

NG : Moi non plus, mais il parait qu'ils sont très contents de leur chamade, "au Récit comme à Notre-Dame".

JPB : En fait, peut-être cet orgue avait-il des qualités (je l'ai connu sonnant très petit. On me disait: "Duruflé et Souberbielle aimaient l'harmonie petite". Pour le coup, je suis dubitatif).

NG : Duruflé aimait l'harmonie Gonzalès, il l'a dit, redit et réécrit, et il s'étonnait que certains de leurs instruments "manquaient de coffre", ce qui est pour le moins contradictoire (mais pas surprenant de la part de Duruflé).  Quant à Souberbielle, ne doutez plus: il avait des idées bien précises et bien arrêtées sur l'harmonie, qui étaient ce qu'elles étaient, mais il estimait qu'un orgue est là pour sonner.  Voyez par exemple ce qu'il dit brièvement des rapports taille / pression dans son opuscule sur Coïmbra, republié dans le Galpérine.  C'était un point qui l'intéressait énormément et Léon en avait fait un paradigme sur lequel il était intarissable.  Le récent orgue de la cathédrale d'Evreux, par Quoirin, facteur qui par ailleurs a fait des choses superbes, est là pour démontrer, hélas (selon moi), la justesse et le bon sens des propos d'Edouard.  St-Nicolas du Chardonnet était encore loin de son idéal, mais il considérait que c'était un deuxième pas vers la vérité (le premier étant le Plein-jeu de Vauhallan); ce que cet orgue démontrait en bien était la preuve qu'il fallait persévérer dans cette voie.

Ne nous y trompons pas, Souberbielle avait certaines idées qui n'étaient pas encore celles de notre temps, et c'est normal.  Il faut du temps pour réfléchir, pour expérimenter en situation réelle, pour en tirer des leçons bonnes ou mauvaises, pour réessayer en prenant en compte les nouveaux acquis, etc etc.  Beaucoup de ses idées étaient des vues de l'esprit, dans les deux sens du terme, et Léon allait encore plus loin que lui sur ce plan.  Certaines d'entre elles sont maintenant caduques, la musicologie et l'organologie ayant fait de gros progrès.  Mais il l'aurait certainement admis.  L'extraordinaire, dans le cas d'Edouard, est que son esprit voyait très souvent juste, avec quarante ans d'avance, parce que c'était un homme qui pensait et qui prenait son temps pour cela.  Il m'a enseigné la musique ainsi. 


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